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« Et le miroir brûla »

Genèse

« Et le miroir brûla » est né d’un double désir. Partager la lumière de connaissance et la parole d’une femme qui s’était abîmée toute entière dans le silence de sa recherche spirituelle. Faire renaître de ses cendres une brûlée vive, pour honorer la valeur du trésor qui l’avait rendue intolérable aux yeux de l’Inquisition, la condamnant par intolérance religieuse au bûcher. Fascinée par « Le Miroir des âmes simples et anéanties » de Marguerite Porete, je m’y suis plongée, un été, comme dans un miroir, y voyant le reflet de mon propre chemin de femme. La spiritualité de Marguerite Porete a en effet des résonances très contemporaines, puisqu’elle exprime, avec ses mots à elle, un vécu proche de ce que nous nommons aujourd’hui le lâcher-prise, le lâcher-le-mental ou l’intelligence-du-cœur. J’ai donc lu et relu son livre, attentive aux images qui viennent et reviennent sous sa plume, pour saisir sa chair, son coeur et son esprit entre les lignes, les mots et les lettres. Puis, l’automne venu, j’en ai écrit librement le portrait conté, empruntant au conte sa poésie et aux étoiles filantes leur trajectoire fulgurante, pour introduire dans l’intimité de son âme. Un portrait au confluent de trois sources d’inspiration : ma lecture aussi fidèle que personnelle du « Miroir », les images fortes dont ce livre est tissé, mon propre reflet dans ce miroir.

Extrait

« Et Marguerite qui, jusqu’à présent, avait tout appris de ses mains, de l’oreille de son coeur ou des livres, recevait désormais science de la lumière. Elle recevait de ce qui la dépasse, de Dieu, de l’univers. De cette puissance de vie, de sagesse et d’amour qui irradie de partout. Non seulement elle recevait, mais elle se nourrissait aussi. Elle se laissait enseigner, comme si les mystères de la vie s’infusaient en elle sans passer par le langage de Raison, sans sortir du silence. Elle savait de source sûre, sans y penser. Elle se reliait à une connaissance venue des profondeurs de Dieu et du lointain de l’univers. Elle percevait des voix, des rires, des chants venus d’étoiles lointaines. Elle percevait tout l’infini en elle. Elle savait aussi que ce qui s’infusait ainsi en elle, s’infusait également dans les poils des chats, les écailles des poissons, les écorces des arbres, les veines des pierres. Tout le Royaume du Vivant était baigné de cet enseignement de la lumière.
Marguerite savait intuitivement qu’il ne servirait à rien aux hommes, qu’ils soient de science, d’église ou de prière, de vouloir emprisonner cette lumière, car elle débordera toujours à flots, et par tout l’univers. Cette lumière avait bien trouvé le chemin de sa chair, de son cœur et de son esprit. Elle avait pénétré et continuait à pénétrer en elle par tous les pores de sa peau, par toutes ses veines, jusqu’à la moelle de ses os. Cette moelle - elle le savait depuis ce jour d’été où, nue, elle s’était aspergée d’eau, faisant vœu à Amour - était bien le plus profond, le plus caché, le plus vivant en elle. Par sa moelle, elle était maintenue en vie, et grandissait en sagesse. Ce qui faisait le cœur de son être, c’était la moelle, l’essentiel. Or Dieu, dans sa lumière, atteignait, touchait et transformait cette moelle. Au plus profond de ses os, elle entendait comme un chant lumineux qui unissait toute l’assemblée des Vivants dans une même louange. Un même chant, ô combien polyphonique, mais unifié. »
(Chapitre 14, pages 79-81)