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« Quatuor mystique »

Genèse

« Quatuor mystique » est un livre écrit en trois temps. Les évocations de Saint Jean de la Croix et de Saint Silouane de l’Athos ont été écrites en 2012. Celle de Pierre Teilhard de Chardin en 2015. Celle de Maurice Zundel en 2016. Pourquoi ces années d’écart ? Parce que je ne pouvais faire l’ascension de ces quatre 8000 mètres avec des chaussures de ville ! Pour écrire, il me fallait me déchausser en silence. Me mettre pieds nus pour emprunter, pieds nus, les passages frayés par ces quatre mystiques pour atteindre le sommet. « Quatuor mystique » est le fruit d’un premier regard laissé à sa résonance et écouté jusqu’aux confins du silence. Je me suis donnée pour règle de ne lire qu’une biographie de chaque mystique, et le texte qui leur était venu aux lèvres et dont je saisis au vol l’inspiration. Leur rencontre s’est faite, non par une longue fréquentation de leur oeuvre, mais dans un seul et tout premier regard. Écrire, en tant que femme, sur quatre hommes est travail à la fois d’ascèse et de maternité. Humblement suivre leurs traces, plutôt que d’emprunter des passages vers lesquels me conduiraient d'emblée ma sensibilité et mon intelligence féminines. Donner vie et donner chair aussi à un autre que soi, pour qu’il soit pleinement lui-même, nourri de mes mots et de ma plume.

Extrait

« La nuit est tombée, et les premières étoiles font leur apparition dans le ciel. La dernière nuit d’itinérance, avant l’arrivée au canyon de la Chara Ousso Gol. Pierre a décidé de veiller tard ce soir. Le chercheur ne se lasse pas d’étudier la grandeur infinie, la petitesse infinie, la complexité infinie des Ordos. Mais le prêtre désire vivre simplement la Présence. Communier avec ce ciel étoilé ouvert sur l’infini. Un infini qui appelle Pierre à soi, qui l’enveloppe et lui parle en silence de cette force à l’oeuvre autour de lui. Cette longue dérive de l’Univers. Sa lente convergence vers son accomplissement. Un jour viendra, où la pensée humaine gagnera sans doute l’Univers. Où les hommes sèmeront leur grain de conscience à l’échelle sidérale. Cette Terre qui s’éveille, phosphorescente de conscience, est appelée à émettre, elle aussi, son chant. Son chant le plus profond. Le plus humain. Cette nuit, il n’y a pas d’autre sanctuaire pour la Personne du Christ, que ce plateau de pierres qui l’entourent et ce ciel étoilé. Il n’y a pas d’autre calvaire que ce désert et ces étoiles qui prient, eux aussi, en gémissements ineffables. Pourquoi penser que la Matière est inerte, alors qu’en cette nuit, elle frémit de toute évidence d’Esprit ? En contemplant le ciel, Pierre comprend que consacrer le Monde n’est pas qu’affaire humaine, mais bien affaire cosmique. Que si l’Humanité est tentée de se séparer de l’Univers, le Christ lui rend sa dignité universelle. Rendre à l’Humanité cette dignité est peut-être le seul sens divin de la vocation, du sacerdoce et de la mission de Pierre sur la Terre. Ce feu qui brûle sans consumer les Ordos est bien le Feu d’un amour universel. De l’amour du Christ pour l’Univers. »
(Chapitre 2 « Ton visage enfoui », pages 65-66)